BONJOUR 
Bonjour ma vie 
Et vous mes désespoirs. 
Me revoici aux fossés 
Où naquit ma misère ! 
Toi mon vieux guignon, 
Je te rapporte un peu de cœur 
Bonjour, bonjour à tous 
Bonjour mes vieux copains ; 
Je vous reviens avec ma gueule 
De paladin solitaire, 
Et je sais que ce soir 
Monteront des chants infernaux… 
Voici le coin de boue 
Où dormait mon front fier, 
Aux hurlements des vents, 
Par les cris de Décembre ; 
Voici ma vie à moi, 
Rassemblée en poussière… 
Bonjour, toutes mes choses, 
J'ai suivi l'oiseau des tropiques 
Aux randonnées sublimes 
Et me voici sanglant 
Avec des meurtrissures 
Dans mon cœur en rictus !… 
Bonjour mes horizons lourds, 
Mes vieilles vaches de chimères : 
Ainsi fleurit l'espoir 
Et mon jardin pourri ! 
- Ridicule tortue, 
J'ai ouvert le bec 
Pour tomber sur des ronces 
Bonjour mes poèmes sans raison… 
TOI, MA BELLE
Toi, ma belle, en qui dort un parfum sacrilège
Tu vas me dire enfin le secret de tes rires.
Je sais ce que la nuit t'a prêté de noirceur,
Mais je ne t'ai pas vu le regard des étoiles.
Ouvre ta bouche où chante un monstre nouveau-né
Et parle-moi du jour où mon cœur s'est tué !…
Tu vas me ricaner
Ta soif de me connaître
Avant de tordre un pleur
En l'obscur de tes cils !
Et puis tu vas marcher
Vers la forêt des mythes
Parmi les fleurs expire une odeur de verveine :
Je devine un relent de plantes en malaises.
Et puis quoi que me dise ma Muse en tournée,
Je n'attendrai jamais l'avis des moissonneurs.
Lorsque ton pied muet, à force de réserve,
Se posera sur l'onde où boit le méhari,
Tu te relèveras de tes rêves sans suite
Moi, j'aurai le temps de boire à ta santé.
 C’EST VIVRE
 C’est vivre
 Fanon, Amrouche et Feraoun
 Trois voix brisées qui nous surprennent 
 Plus proches que jamais
 Fanon, Amrouche, Feraoun
 Trois source vives qui n’ont pas vu 
 La lumière du jour 
 Et qui faisaient entendre 
 Le murmure angoissé  
 Des luttes souterraines 
 Fanon, Amrouche, Feraoun 
 Eux qui avaient appris 
 A lire dans les ténèbres 
 Et qui les yeux fermés 
 N’ont pas cessé d’écrire
 Portant à bout de bras
 Leurs oeuvres et leurs racines 
 Mourir ainsi c’est vivre 
 Guerre et cancer du sang 
 Lente ou violente chacun sa mort 
 Et c’est toujours la même 
 Pour ceux qui ont appris 
 A lire dans les ténèbres, 
 Et qui les yeux fermés 
 N’ont pas cessé d’écrire 
 Mourir ainsi c’est vivre.
 
POUSSIÈRES DE JUILLET
 
 Le  sang
 Reprend  racine
 Oui
 Nous  avions  tout  oublié
 Mais  notre  terre
 En  enfance  tombée
 Sa  vieille   ardeur  se  rallume 
 Et  même  fusillés
 Les  hommes  s’arrachent  la  terre
 Et  même  fusillés
 Ils  tirent la  terre  à  eux
 Comme  une  couverture
 Et  bientôt  les  vivants  n’auront  plus  où  dormir 
 Et  sous  la  couverture
 Aux  grands trous  étoilés
 Il  y  a  tant  de  morts
 Tenant  les  arbres  par  la  racine
 Le  cœur  entre  les  dents 
 Il  y  a  tant  de  morts
 Crachant  la  terre  par  la  poitrine
 Pour  si  peu  de  poussière
 Qui  nous  monte  à  la  gorge
 Avec ce vent  de  feu
           
 N’ enterrez  pas l’ancêtre
 Tant  de  fois  abattu
 Laissez-le renouer la trame  de  son  massacre    
       
 Pareille  au  javelot  tremblant
 Qui  le transperce
 Nous  ramenons  à  notre  gorge
 La  longue  escorte  des  assassins.
 
Poemas tomados de:
http://www.ziane-online.com/poemes/kateb_yacine.htm#1 
